Arthur Rimbaud

Ses poèmes annotés, sa biographie...

Au Cabaret-Vert,
cinq heures du soir

Ce poème évoque un cabaret de Charleroi où tout était vert à l’intérieur comme à l’extérieur et qui s’appelait « À la Maison verte » comme l’a découvert Robert Goffin en rencontrant un ancien épicier ayant fréquenté l’établissement dans sa jeunesse : « C’était une auberge de rouliers avec la façade verte et les meubles peints en vert. [...] Tous les paysans de la région s’y retrouvaient aux jours de marché  ». D’après les souvenirs de cet homme la maison verte avait pour enseigne « une plaque de tôle verte, perpendiculaire à la façade et sur laquelle on avait peint naïvement un verre, une bouteille et une carafe jaunes ». Vers 1930, l’enseigne avait disparu et l’intérieur avait été entièrement rénové. L’immeuble dont faisait partie le cabaret a existé jusqu’en 2013, date de sa destruction, même si le rez-de-chaussée original était devenu, avec le temps, une vitrine commerciale. Arthur Rimbaud s’y était arrêté lors de sa fugue d’octobre 1870. Il avait quitté Charleville le 7. On peu estimer la date de la scène à la mi-octobre (« Depuis huit jours »). Il y fera une allusion nostalgique en mai 1872 dans une strophe du poème Comédie de la soif. On peut voir ce cabaret sur des cartes postales du début du XXe siècle.

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines1
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure2 ! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse,
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Octobre 1870

  1. Au sens régional de « chaussures ». Employé également dans les poèmes « À la musique » et « Roman ».
  2. « Épeurer » est un mot du Moyen Âge signifiant « faire peur » et qui s’est ensuite répandu dans le roman régional. On le retrouve notamment chez Paul Verlaine et George Sand.