Arthur Rimbaud

Ses poèmes annotés, sa biographie...

L’éclatante victoire de Sarrebrück

remportée aux cris de vive l’Empereur !

Comme l’indique Rimbaud, ce poème serait inspiré d’une gravure belge qu’il aurait vue en vente à Charleroi, et dont il indique ironiquement le prix de 35 centimes. Ce dessin représentait une petite bataille remportée par la France contre la Prusse le 2 août 1870. L’empereur profitat de l'occasion pour envoyer de Metz un télégramme adressé aux français pour vanter la bravoure de son fils de quatorze ans, le prince impérial, présent sur le champ de bataille. Arthur Rimbaud dresse dans ce poème un tableau digne d’une image d’Epinal dont certains termes en accentuent le caractère enfantin et naïf : « brillament coloriée », « tambours dorés », « rouges canons », « dada », « pioupious ».

Gravue belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.

Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, – car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;

En bas, les bons Pioupious1 qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Pitou2 remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s’étourdit de grands noms !

A droite, Dumanet3, appuyé sur la crosse
De son chassepot4, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : « Vive l’Empereur !!! » – Son voisin reste coi...

Un schako5 surgit, comme un soleil noir... Au centre,
Boquillon6 rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, – présentant ses derrières – : « De quoi ?... »

Arthur Rimbaud
Octobre 70

Manuscrit autographe confié à Paul Demeny en octobre 1870.

  1. Terme militaire désignant les jeunes soldats sans expérience.
  2. Bon soldat naïf.
  3. Selon le Dictionaire du XIXe siècle, Dumanet est le type du « troupier ridicule », « un bleu à qui l'ont fait croire les bourdes les plus invraisemblables ».
  4. Le fusil Modèle 1866 dit « Chassepot » du nom de son créateur Antoine Alphonse Chassepot était un fusil de l'armée française mis en service en 1866. Il fut remplacé après 1874 par le mousqueton de cavalerie. Rimbaud parle dans une lettre du 25 août 1870 de « tous les ventres qui, chassepot au cœur font du patrouillotisme aux portes de Mézières ».
  5. Coiffure militaire remplacée plus tard par le képi.
  6. Soldat bedonnant à l'attitude équivoque tiré du journal satirique La Lanterne de Boquillon fondé en août 1868.